Lorsque les feux s’allument, à 15 heures précises, les F1 s’engagent pour un dernier tour avant que le départ soit donné. Une dernière occasion de vérifier que toute la mécanique et l’électronique fonctionnent parfaitement à bord de ces bijoux de technologie. Dernier Français vainqueur en Grand Prix en 2020 à Monza, Pierre Gasly raconte comment son cerveau se met en branle pour vivre ce moment hors du temps, qui peut durer de 75 mn, pour la course la plus rapide (l’Italie), à plus de deux heures pour les plus lentes (Monaco et Singapour).
« Avant le tour de formation, je suis toujours conscient, explique le pilote Alpha Tauri. Les choses sont assez normales dans ma manière de réagir. » L’habitude et les réflexes permettent de répéter les gestes nécessaires à la préparation de ce départ. Pourtant, il y a déjà une foule de choses à penser et planifier, « quatre ou cinq actions très importantes ». Une paille, sauf qu’il ne s’agit pas d’arrêter les essuie-glaces en changeant de station de radio.
« Effectivement, confirme Esteban Ocon, le pilote Alpine, c'est vraiment là où on se concentre et où on commence à visualiser tout ce qu'on doit faire. Tout en se retrouvant livrés à nous-même car c’est le seul moment où l’on ne peut pas communiquer avec les stands. Il ne reste que la machine et nous... C'est probablement le moment où la pression atteint un sommet et où l’adrénaline commence à se faire ressentir. »
Car oui, le pilote est seul : désormais, les ingénieurs n’ont plus le droit de venir l’assister durant ce tour de formation. Il doit donc gérer les paramètres qui vont conditionner son départ. « Car en fait, calcule Ocon, le départ, c’est 80% de la course. Perdre des places à ce moment, c’est forcément très couteux. » Alors, synchroniser les rapports, d’abord. « Il faut passer toutes les vitesses jusqu’à la huitième, détaille Gasly. C'est une information qu'on va avoir sur le volant. » Rien de bien compliqué sauf que, dans le même temps, le moteur hybride (depuis 2014) doit charger les batteries à bloc afin d’offrir, lors du départ, un surcroît de puissance. La puissance du bloc propulseur est donc dégradée pour permettre cette recharge. « Le réglage de ce tour-là nous permet de pousser à fond en ligne droite pour atteindre la 8e », rassure le Français.
Ensuite, il faut mettre les gommes en température. Les pneumatiques sont un élément essentiel de la performance : seul lien avec le sol, seul moyen de transmettre à l’asphalte les 1000 chevaux que développe une F1. Pour faire passer cette puissance, les pilotes font des "burn-out": ils placent le pneu en "contrainte" en faisant brutalement zigzaguer la monoplace, tout en faisant travailler les freins. Les modèles carbone ne commencent à fonctionner qu’à partir de 400 degrés et contribuent eux aussi à chauffer les gommes. Facile, mais... certains tracés privilégient les virages à droite. Il ne faut donc pas oublier les roues gauches. Ou l’inverse. Pousser un peu dans les rares virages d’un certain côté pour avoir une température régulière sur les quatre pneus.
« On va essayer d'attaquer un peu plus pour mettre plus d'énergie justement sur ces gommes pour qu'elles soient prêtes en arrivant vers la grille, poursuit Gasly. Les ''burn out'' (BO sur le volant) nous permettent, dans ce mode de recharge d'énergie, d'avoir plus de puissance, pour accélérer brutalement sur quelques instants de puissance. »
Lorsqu’on arrive sur la grille, il ne faut surtout pas oublier de désactiver ce mode ''moteur'' et passer au mode ''départ''. En 2016, à Barcelone, Nico Rosberg y avait perdu la course en omettant de le faire avant l’extinction des feux. Lorsqu’il se reprit au virage 3, Hamilton était déjà dans son sillage et l’attaqua au moment où l'Allemand remettait la pleine puissance. Les deux Mercedes s’accrochèrent et furent contraintes à l’abandon.
Tout est fini ? Pas encore. Il faut bien se placer. Les monoplaces sont basses, les pilotes casqués. Ils ne voient pas grand-chose. Sur les côtés, des commissaires ou des plaques rappellent leur numéro, où se situe leur place. Après, il faut se débrouiller pour bien s’installer dans sa « boîte ».
« Je sais qu’avec cette ligne jaune, je peux avancer de quinze ou vingt centimètres, mais m'arrêter à ce moment-là », précise Gasly. Se rapprocher de la limite sans la franchir. Car mal positionnée, la voiture écoperait d’un ''drive through'' (passage obligatoire par la voie des stands mais sans s'arrêter), d’un ''stop and go'' (passage par la voie des stands en marquant un arrêt) ou d'une pénalité de cinq secondes, ce qui arriva justement au pilote d'Alpha Tauri lors du dernier GP d'Espagne). « C’est un moment méga important, appuie Ocon, se placer au bon endroit sur la grille, pour gagner les derniers vingt ou trente centimètres, qui peuvent être décisifs dès le premier virage. Ce sont les petits détails qui font que, à la fin, on arrive à faire des bons résultats... ou pas. » Mais avant...