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Seul au volant, le pilote attend désormais que les feux s’allument, puis s’éteignent. L’attention est concentrée sur ce rouge qui va disparaître. Chacun avec sa méthode, comme le souligne Gasly : « Il y en a qui restent sur le neutre (le point mort) mais j’ai connu de mauvaises expériences en me retrouvant bloqué. Ce n'est pas plaisant du tout ! » Alors va pour la première enclenchée chez le Français d’Alpha Tauri, focalisé sur son point de patinage, qui transmettra la force du moteur à la monoplace. Dans une voiture de tourisme, on trouve ce point sur la pédale d’embrayage, souvent à mi-course et l’on s’en sert dans les démarrages en côte. « Là, c’est différent, explique Gasly. En côte, on met les gaz à fond pour empêcher la voiture de reculer. Sur un départ, il faut doser. Au millimètre. »

Pour détecter ce point de patinage, les ingénieurs avaient réussi à découper la palette de changement de vitesse en deux sections, dont l’une permettait au pilote de le trouver de manière mécanique et automatique. Interdit depuis trois ans, afin de favoriser l’imprévu et remettre le pilote au centre de cet exercice si particulier. « Mais on prend vite nos habitudes en faisant nos propres ''practice start'' avant la course, détaille Gasly. On sait plus ou moins où il est. D'un week-end à l'autre, il est plus ou moins au même endroit. »
Et le Français d’expliquer, sans vouloir être filmé, comment il peut gérer le pourcentage de course de son embrayage en glissant ses doigts le long du montant de son volant, en se servant du pouce pour pousser justement l’embrayage au lieu de relâcher l’index. « Pour choper le bon pourcentage, c'est beaucoup d'entraînement », concède le Normand.

Sans vouloir non plus révéler ses petits secrets, Esteban Ocon a, depuis ses débuts en F1,
toujours beaucoup pratiqué ses départs les di-manches matins. Il ne faut donc pas trop patiner et savoir doser son accélération en fonction d’un nombre de paramètres ahurissant, comme la déclivité de la piste, l’adhérence du bitume, les conditions météo... D’où tous ces exercices effectués tout au long du week-end. A la sortie des stands lorsque cela est possible, ou sur la grille lorsque cette sortie est impraticable aux tests (comme à Monaco ou en Autriche).

Arrive la seconde essentielle, celle du départ. Esteban Ocon raconte : « J'attends de voir jusqu'à quand les voitures vont se placer, je rengage la première et je me concentre sur mon temps de réaction. »

« Toute mon attention est concentrée sur ces feux, sur la manière dont je vais relâcher l'embrayage et le régime moteur au moment où je m’élancerai », précise Gasly. Avoir le bon réflexe. Un geste pratiqué depuis des années à l’entraînement sur des machines de torture telles que le BATAK (appareil notamment utilisé par Esteban Ocon au Centre 3,2,1 Perform d'Egat, dans les Pyrénées, voir ci-dessus), que les pilotes maîtrisent depuis leur plus jeune âge.

Tout devient alors une question de positionnement et de capacité à analyser une somme monstrueuse d’informations qui peut surprendre le béotien. Pas le pilote, ni le médecin qui l'aide à simplifier grandement ce moment de stress intense. Comme l’explique le professeur Antoni Valero-Cabré, de l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), à l'hôpital Pitié-Salpêtrière : « L'activité est complexe : il faut percevoir la réalité, l'analyser et faire des choix rapides. La partie préfrontale du cerveau va aider le pilote à développer une stratégie globalement consciente. En cas d’urgence, il est capable de faire toutes ces activités de façon inconsciente pour planifier les actions motrices qui vont lui permettre de résoudre le problème. »

« Si Messi est très bon avec le ballon, poursuit le médecin de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, c’est parce que, gamin, il jouait avec ses copains et passait des heures à contrôler le ballon. C'est un peu le même principe pour un conducteur. Le fait de conduire, de conduire, de conduire, d'être exposé à des prises de décisions complexes, génère certains automatismes qu'on peut engager de façon machinale, comme un pilote automatique pour résoudre une situation rapidement. »

Simple à prononcer, beaucoup moins à réaliser avec dix-neuf autres fondus qui cherchent à appliquer un plan similaire. « On arrive à gérer tout ça, mais c'est toujours nouveau, conclut Gasly. Personne ne va faire exactement ce qu’on a prévu. Avant le départ, on peut en imaginer mille dans sa tête. Mais il y a, en fait, des milliards de possibilités. On ne peut jamais savoir. C'est surtout du feeling et de la prise de décision sur le moment présent. C'est sûr qu'avec l'expérience, on arrive à un peu mieux gérer le départ. »

« Pour moi, ajoute Ocon, il y a une grosse partie de la préparation qui se fait avant la course. » Analyser le placement, reconnaître les endroits de la piste où le grip est le meilleur, détailler les pneus chaussés par les adversaires, regarder même les départs des années précédentes... Et puis, « quand on parle de départ, précise le pilote Alpine, pour moi, c'est tout le premier tour. Là où il se passe beaucoup de choses. Les voitures sont collées, ça se touche à droite, à gauche. Il faut avoir des yeux devant, derrière, sur les côtés. Et essayer d'exploiter les failles. »

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