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Après deux heures d’intense concentration, le cerveau du pilote retrouve une certaine liberté au moment de l’arrivée. Le drapeau à damiers est vécu comme un signal de libération, de basculement et de retour - progressif - au mode ''normal''. Gasly : « Après le Grand Prix d'Imola (dont il a terminé septième cette année), par exemple, avec une course complètement folle, des drapeaux rouges, des conditions extrêmes, je pense que tous les capteurs de mon corps pendant ces deux heures de course avaient été utilisés. Une fois rentré chez moi, j'avais un niveau d'adrénaline qui était encore si élevé que je n'arrivais pas à me calmer. Trop excité, trop d'énergie. Mon corps n’arrivait plus à se relâcher et à se libérer. »

Ocon ne dit finalement pas autre chose :
« La place importe énormément après
le drapeau à damier, mais une fois passée l’arrivée, je me relâche, je savoure. Ce que j'adore dans ces moments, c'est le tour de décélération. Souvent, c'est le moment où on peut ouvrir les yeux, et regarder l’environnement. Se rendre compte de la chance qu'on a d'être dans un bolide pareil, de faire un sport comme on le fait... Réaliser où on est, tout simplement. »

En 2012, Vettel racontait qu’après son troisième titre conquis à Interlagos dans des conditions folles, alors que sa Red Bull était favorite face à la Ferrari d’Alonso (accident au premier tour, voiture endommagée, remontée folle), lui non plus n’avait pu trouver le sommeil de la nuit. « Les grands pilotes ont cette capacité à faire face aux imprévus, relève le professeur Valero-Cabré. Cette capacité s'appelle l'attention sélective, c'est-à-dire être capable de focaliser suffisamment notre attention sur la tâche qu'on est en train d'effectuer, mais en même temps, faire attention à des informations, comme des bruits ou des objets qui rentrent dans notre champ visuel, et être capables de les traiter de manière pertinente. »

Pour s’y entraîner, un seul moyen : la répétition. « On développe nos capacités cognitives et cérébrales dans des contextes très précis, souligne le professeur. Il est tout à fait possible que dans des situations de conduite normale, un pilote ne soit pas capable de réagir comme en course parce que son cerveau ne retrouve pas les mêmes éléments pour agir de manière aussi rapide. Comme un concertiste, les sportifs de haut niveau trouvent une espèce de déclic. Ils activent tous ces logiciels qu’ils n’utilisent pas au quotidien. L’ouïe ultrafine du violoniste ou les réflexes ultrarapides du pilote. Pourquoi ? Parce qu’ils demandent une consommation d'énergie et de glucose très importante. »

Ceux-ci pourtant, portant à un tel degré d’intensité leurs capacités à gérer l’inattendu, à moduler l’extraordinaire, en ont-ils vraiment besoin ? Ne suffirait-il pas qu’ils continuent à déployer ce formidable instinct que chacun d’entre eux possède, pour surprendre, dépasser, ou terminer un Grand Prix ? Laissant ainsi dans l’esprit de ceux qui les regardent ce sentiment qu’ils ne sont décidément pas des hommes tout à fait comme les autres.

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