Le travail du pilote ne se limite pas qu’à la piste. Au moins une fois par Grand Prix, il doit repasser au stand. Désormais, l’essence embarquée (110 kg) doit tenir toute la course mais le règlement impose d’utiliser deux des trois types de gommes (dur, medium ou tendre) fournis chaque week-end par Pirelli. Il faut donc, à un moment, revenir à son garage pour troquer ses pneus rouges (tendres) contre des jaunes (medium) ou des blancs (durs). Voire y revenir une seconde fois, en fonction des conditions ou de la stratégie, pour un nouveau changement. « C'est un moment qui n'est pas forcément confortable parce qu’on perd un peu le contrôle sur ce qui se passe, avoue Gasly, sans craindre ce moment. Il y a quand même une part d'incertitude sur le fait que l'on va être aussi performant que les autres. » Car, tout ne dépend plus que du pilote, même si ses actions restent essentielles.
Cela débute par l’entrée aux stands. Un moment crucial tant certaines entrées sont étroites. En 2007, à Shanghai, un jeune pilote avait oublié que l’endroit était encore mouillé. Il avait échoué dans le bac à graviers. Incapable d’en sortir, Lewis Hamilton (c’était lui) avait sans doute perdu sa première couronne mondiale. « C’est une partie du circuit qui n’est quasiment pas utilisée pendant tout le week-end, confirme Gasly. Donc l'adhérence est beaucoup plus faible que celle de la piste. On essaie de freiner le plus tard possible. » Dans la « pit-lane », la vitesse est limitée à 80 km/h en temps normal.
Ensuite, les pilotes doivent visualiser leur stand. Pour les y aider, quelques mètres avant leur garage, une étiquette est placée le long de la murette d’un rival... Hamilton, encore lui, s’était trompé en 2013 : alors qu'il voulait rejoindre Mercedes, il s'était arrêté chez McLaren, son écurie durant les six années précédentes.
1. La monoplace s'insère dans la voie des stands où la vitesse est traditionnellement limitée à 80 km/h. Le pilote active donc sur son volant le "pit limiter", ou limitateur de vitesse.
2. Un repère lui indique quand tourner vers son garage. Afin de faciliter le travail des mécaniciens, il s'arrête à un emplacement précis dessiné sur le bitume devant le garage.
3. A l'aide de lève-vite, deux "mécanos", l'un à l'avant, l'autre à l'arrière, soulèvent la voiture. Chaque mécano est secondé par un remplaçant.
4. Quatre mécaniciens, à l'aide d'un pistolet, dé-vissent simultanément les écrous des roues, quatre autres les enlèvent, quatre autres placent les nouveaux pneus et les quatre premiers les vissent au pistolet. Pendant ce processus, deux personnes stabilisent la voiture.
5. Chaque pistolet envoie un signal électronique quand la nouvelle roue est fixée. Quand les quatre le sont, un signal sonore permet aux préposés au lève-vite de relâcher la voiture. Deux "spotters"s'assurent du bon déroulement du "pit stop" et vérifient que la voie est libre. Dans le même temps, un signal lumineux avertit le pilote qu'il peut repartir. Jusqu'à la sortie des stands, il doit à nouveau respecter la limitation de vitesse.
Là encore, les automatismes reviennent.
« Au volant, je mets le pit limiter et j'efface tous les réglages que j’ai pu faire auparavant, détaille Gasly. On a corrigé les réglages de la voiture au fur et à mesure de l’usure des gommes. Là, on va repartir avec des pneus neufs. Donc il ne faut pas oublier de faire un reset. »
Tout le week-end, ils ont répété l’exercice en poussant la voiture. Le pilote, lui aussi, s’est entraîné à chacun de ses retours pour être capable de s’arrêter au centimètre près. Certaines écuries dessinent même, en plus de l’emplacement, des réglettes graduées sur 20 centimètres. « Ce qui est le plus important, ce n’est pas la vitesse à laquelle on arrive, mais le placement par rapport au mécano, observe Gasly. Il faut vraiment s'arrêter pile en face des mécanos. Cela leur permet d’être plus rapides et ''confort''. Si on va 20 cm plus loin, ils vont être déstabilisés, ne pas pouvoir être aussi précis ni aussi rapides. C'est compliqué à cause de l’adhérence très faible et des pneus usés. »
La voiture à l’arrêt, les pneus sont changés, entre deux et trois secondes en moyenne si rien ne vient grimper la mécanique. Autant dire un clignement d’yeux. Le pilote, lui, doit déjà penser à repartir.
« D’abord, il faut appuyer sur les freins, les bloquer parce que c'est plus facile pour les mécanos pour retirer les roues, continue Gasly. Mais en s’arrêtant, il faut déjà préparer le restart... Ensuite, on prend l'embrayage, comme un départ, concentré sur le feu rouge pendant que les mécanos changent les roues. Au moment où tout le monde retire normalement les pistolets des roues, ça passe au vert. Et là, on y va. C’est tellement rapide que j'ai même les roues qui sont encore un peu en l'air. Et quand je relâche mon embrayage, ça touche le sol. »
Le moment à ne surtout pas rater peut se révéler périlleux, stressant. Ocon juge ainsi le pit stop « plus dangereux que la piste. Parce qu'il y a le facteur humain qui rentre en compte. » Et donc la peur d'un drame : « Certes, on est limité maintenant à 80 km/h mais rentrer dans quelqu'un à cette vitesse-là, c'est quelque chose de très grave. » Il évoque cette ultra-vigilance une fois dans la « pit-lane », concentré « à 3000% ». Parce que « une rentrée au stand, ça peut faire basculer une course ».