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Comme le dit Esteban Ocon, « c’est déjà une très bonne sensation déjà de rattraper la voiture de devant ». La dépasser requiert encore de l’instinct car c'est un autre moment-clé dans la gestion de l’électronique embarquée. Les pilotes travaillent beaucoup en amont pour être capables de répondre en une fraction de seconde à ce qu’ils n’auront pas prévu.

« Si l’on attaque une voiture qui est plus lente que nous, c’est facile, on va juste doubler,
analyse Gasly. En revanche, une attaque sur une voiture qui a un niveau de performance similaire au nôtre, c’est plus compliqué. Des opportunités, il n'y en aura pas beaucoup. Si tu tentes, il faut tout donner parce que tu ne sais pas si tu auras d’autres chances dans la course. »

Alors, en bon étudiant, le pilote Alpha Tauri révise. Le vendredi surtout, il étudie les performances des adversaires, surveille les partiels pour connaître forces et faiblesses des rivaux. « Je sais, par exemple, que les Ferrari vont être très fortes dans le premier secteur, détaillait Gasly au lendemain d’Imola. Mais dans les deux virages avant la ligne droite, elles seront un peu moins bonnes. Quand je vais suivre une Ferrari, je sais donc que je vais potentiellement me rapprocher d’elles dans le dernier secteur et que je vais pouvoir tenter quelque chose. Inversement, la McLaren va être très rapide dans le dernier secteur et ce sera plus compliqué avant la ligne droite d'être collé à elles. Il va falloir que je réfléchisse à une autre manière d'aller les chercher. C'est des choses que je sais. Pas besoin d'y penser. »

« Le lobe préfrontal élabore une stratégie d'action en fonction de ce qu’il a perçu, explique Antoni Valero-Cabré, professeur à l'ICM. Il pondère plein d'informations sensorielles grâce à son expérience préalable. Par exemple, quand on conduit en ville, on sait que même si l’on voudrait accélérer, on doit ralentir à l’approche d’un passage piétons. On s'adapte au plan de la société. »
Pour le pilote de F1, c’est pareil, la capacité d’adaptation est le fruit de milliers d’heures de conduite. « S’il a déjà rencontré une certaine situation, il n’aura plus à penser comment la résoudre. Il le fera. Automatiquement. Le cerveau applique un programme préétabli grâce à cette expérience, mais aussi à cet entraînement. Ces routines cognitives permettent de gagner du temps de réaction mais également de l'énergie pour le cerveau. »

Les pilotes sont parfaitement conscients de cela. Depuis une vingtaine d’années, leur programme d’entraînement se focalise beaucoup sur l’endurance afin de maintenir au plus haut le taux de concentration sur toute la durée d’une course. Sans fatigue excessive ou nuisance pour la concentration sans faille demandée lors d’un Grand Prix.

Malgré les exercices, les pilotes ne peuvent tout prévoir. A un moment, il faut se lancer dans le dé-passement. D’abord en se retrouvant à moins d’une seconde de la voiture qui précède, ce qui permet, sur deux zones du circuit, d’utiliser le fameux DRS. « Mais c’est compliqué, relate Ocon, parce que quand on a une voiture devant nous, l’aéro est complètement perturbé... On va perdre en grip, en performance, la voiture va commencer à glisser, on va donc user nos pneus qui vont surchauffer. Il n’est donc pas si simple de revenir à moins d’une seconde de la voiture de devant. »

Une fois l’objectif en vue, il faut alors enclencher le DRS, cette aide artificielle qu’évoque Ocon et qui retire, durant un court moment, l’appui de l’aileron arrière, enlève de la résistance à l’air et permet de gagner en vitesse de pointe. On sollicite ensuite la partie hybride du moteur qui, depuis 2014, possède des batteries qu’il faut penser à recharger. Gasly explique : « Sur mon moteur, j’ai différents modes qui rechargent de 10, 20, ou 30% de la batterie. Mais ce sont des modes qui me font perdre un peu de performance, entre un et trois dixièmes au tour. » Sur son volant s'affiche le niveau de batterie - comme celui de votre téléphone portable.
Le pilote est prêt à passer à l’action. « Comme celui qui est devant nous ne peut pas utiliser son DRS, on se rapproche rapidement pour tenter notre attaque », dissèque Ocon. C’est l’étape numéro une, après laquelle il faut donc déclencher sa batterie. « Parce que la déployer sans parvenir à prendre l’avantage, c’est tirer une balle à blanc : à un moment on peut se retrouver sans batterie », poursuit Ocon.

L’opération se fait dans le silence entre le pilote et le stand. « Généralement, si ce n'est pas pour nous donner de la performance (en donnant des indications pour augmenter la puissance du moteur, par exemple), notre ingénieur se tait, ajoute Gasly. En revanche, s’il peut nous procurer un avantage, il le fait. »


Reste à dépasser et gérer la défense de l’adversaire. « L’idée, confie Gasly, c’est de rester le plus proche possible à l'entrée des lignes droites, ce qui n'est pas simple parce qu'on perd pas mal d'adhérence. Donc il faut essayer de le faire le plus rapidement possible, être efficace. »

Une fois le dépassement réalisé, il ne faut pas s’endormir sur la satisfaction d’avoir gagné une place de mieux... «Psychologiquement, c’est toujours plaisant, bien sûr », avoue Ocon, mais au-delà du plaisir personnel, il ne faut pas oublier les enjeux du classement final : « Il sont énormes pour chaque équipe, qu’il s’agisse du classement constructeurs ou du classement des pilotes, alors quand, en termes de points, on est proche d’une écurie ou d’un pilote, et qu’on réussit notre dépassement, on est heureux, mais on sait qu’il ne faut pas s’arrêter là », insiste le pilote Alpine.

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